L'Ecole des mines de Paris enseigne aussi le commerce électronique
par Robert Mahl (CM 66),
professeur à l'ENSMP
(article paru dans LA REVUE DES INGENIEURS, no 390, janvier-février 2001)
Les américains
distinguent les jeunes pousses de E-commerce, qualifiées de
purs-Internet
, des entreprises
commerciales traditionnelles
dans le domaine, désignées par
"brique et mortier". La même classification peut être appliquée dans
notre enseignement supérieur français.
Nous
observons des nouvelles créations d'écoles d'ingénieur résolument orientées
vers l'informatique en général et depuis peu spécifiquement vers l'Internet,
comme c'est le cas à Marseille. D'autres écoles traditionnelles comme les
écoles des mines s'adaptent à la demande du marché.
Le
même mouvement existe dans les écoles de commerce : ainsi, HEC qui avait déjà
créé un mastère de management des systèmes d'information avec l'Ecole des mines
de Paris en 1998, vient de créer un nouveau mastère de Net Business avec l'ENST
en 2000. Parallèlement, les étudiants "traditionnels" des écoles de
commerce font toujours plus d'informatique et d'Internet au cours de leur
scolarité.
La demande des étudiants
Les
étudiants sont beaucoup plus avides de ces nouvelles technologies et de ces
nouvelles techniques de marketing que leurs aînés. Beaucoup d'élèves ingénieurs
ne s'intéressent même pas à des stages ou des emplois offerts par des
entreprises qui n'ont pas la « E-image ».
Lorsqu'ils rendent visite à une entreprise qui a proposé un stage ou un premier
emploi en informatique "traditionnelle", l'étudiant fait souvent le
forcing pour transformer la proposition dans le sens du Web.
Les
entreprises n'ont compris le phénomène que très récemment. L'analyse du
bulletin SPEC-Junior des offres d'emploi du service placement des anciens
mineurs en décembre 1999 et janvier 2000 révèle que, à cette époque, 43 % des
offres publiées étaient en informatique, mais 7 % seulement des offres
informatiques portaient sur Internet, Intranet et web. Pourtant, les 2/3 des
stages effectivement obtenus à la même époque par les élèves de 3ème année de
l'option "systèmes d'information" de l'ENSMP étaient bien dans les
nouvelles technologies, et cela sans directive particulière des enseignants. Le
phénomène a été presque aussi marqué au
niveau des mastériens ; plusieurs d'entre eux racontent des anecdotes montrant
qu'ils ont pratiqué de vraies épreuves de force avec les responsables des
entreprises pour orienter leur action vers la E-vitrine externe ou interne de
l'entreprise.
Le
phénomène est encore accentué par la pénurie de main d'œuvre qualifiée sous le
double effet de la croissance économique et de la réduction du temps de travail.
L'entreprise "brique et mortier" est désormais obligée de donner un « E-look »
à ses offres d'emplois pour jeunes diplômés. Elle se trouve en effet en
concurrence avec les startups
"pur-Internet"
ou "click
et mortier" qui attirent depuis peu énormément les jeunes les
plus dynamiques.
L'engouement des jeunes pour
les startups
Aux Etats-Unis, les études d'ingénieur subissaient un déclin quantitatif continu
depuis plus d'une décennie ; les étudiants s'orientaient de plus en plus vers
les études de "business", et notamment les fameux MBA. En 1996, la
tendance s'est inversée brutalement, car il y a eu une prise de conscience chez
les jeunes que pour créer une E-_entreprise
il fallait maîtriser certaines techniques spécifiques.
Le
mouvement vers les startups est arrivé en France nettement plus tard,
probablement parce que la création d'entreprises n'est pas ancrée solidement
dans notre culture comme elle l'est outre-Atlantique. Le réveil a été brutal.
Si l'on considère par exemple la totalité des 59 élèves des Mines
faisant des stages en informatique au printemps 2000 (civils 3éme année et
mastériens confondus), près de 20 % étaient dans des startups alors que cette
proportion n'avait jamais dépassé 5 % ni en 1999, ni les années précédentes. En
outre, les professeurs ont eu des cas difficiles à gérer avec plusieurs
étudiants qui quittaient sans préavis un excellent stage, par exemple dans une
banque, pour travailler à la création d'une startup du Web.
Le E-business dans les
centres de recherche de l'ENSMP
Plusieurs
centres ont démarré des activités liées au E-business ; c'est particulièrement
le cas tant dans le domaine des sciences économiques et sociales avec le CERNA
(http://www.cerna.ensmp.fr) et le CGS, que dans le domaine des techniques
informatiques avec le CRI (http://www.cri.ensmp.fr).
Le
CERNA, qui encadre l'option Economie industrielle de l'Ecole, a monté une
équipe sur l'Economie numérique. Les études du CERNA sont orientées vers les
nouvelles stratégies d'entreprises fondées sur la valorisation des flux
informationnels. Elles portent notamment sur les effets de monopoles
informationnels, l'organisation industrielle des télécoms et de leurs nouvelles
offres, l'économie des marques et des portails, les mécanismes de fixation des
prix sur le Web, les nouvelles inégalités numériques.
Le
CGS développe une compétence en droit du numérique.
Le
CRI, qui encadre l'option Systèmes d'information et ingénierie informatique de
l'Ecole, travaille beaucoup avec des startups qui ont des problèmes ardus de
techniques informatiques. Il a aussi participé à la réalisation de divers sites
portails, notamment dans le cadre des groupements d'écoles d'ingénieurs
(cge.asso.fr, cefi.org, GEI Paris), de la formation professionnelle
(carif.asso.fr, formatel.com, centre-inffo.fr), de la pharmacie (biam2.org), du
droit (droit.org, admi.net, affaires-publiques.com).
Grâce
à ses équipes compétentes et en contact avec les entreprises, l'ENSMP dispose
donc du potentiel suffisant pour revitaliser l'enseignement de l'Ecole en
matière de commerce électronique.
Les nouveaux enseignements de mastères en NTIC à l'ENSMP
En 1998, deux nouveaux mastères d'informatique ont été lancés pour perfectionner
et professionnaliser des étudiants de niveau BAC+5 : il s'agit du mastère
HEC-MINES de Management des Systèmes d'Information et Technologies (MSIT) et du
mastère d'Ingénierie d'Applications Réseaux Multimédia (IAR2M). Dès la rentrée
1998, les effectifs étaient respectivement de 19 et 15 étudiants ; ils ont
légèrement augmenté en 1999 et 2000, mais l'Ecole ne souhaite pas augmenter
trop rapidement les effectifs pour diverses raisons, dont notamment le manque
de locaux d'enseignement.
MSIT
est orienté vers la maîtrise d'ouvrage de grands projets informatiques, et a
pour objectif de former des chefs de projets et des consultants de haut niveau,
formation très demandée par des grandes firmes de consulting. L'enseignement
est pour moitié constitué de techniques de conception informatique, et pour
moitié de techniques marketing et managériales et d'études de cas.
IAR2M
concerne la maîtrise d'œuvre et la réalisation de projets Web d'envergure ; son
principal débouché se trouve dans les SSII de l'Internet, souvent dénommées
"web agencies". Les aspects informatiques représentent plus de 80 %
de la formation. IAR2M (comme MSIT) prend une majorité de ses effectifs dans
les jeunes ingénieurs, avec une minorité de jeunes diplômés d'écoles de
commerce ou bien de formation continue.
Les
étudiants de ces mastères n’ont aucun problème de débouchés, avec des salaires
de début dans la fourchette de 225 à 250 KF, voire bien au-delà dans certains
cas. Le phénomène nouveau à l'automne 2000 est de voir plusieurs mastériens
refuser d'excellents postes en CDI après leurs stages pour participer à une
création d'entreprise.
L'option Systèmes
d'Information du cursus des ingénieurs civils
Répondant
à la demande des élèves de 2ème année notamment, l'option Systèmes
d'information évolue vers les techniques informatiques du web. Certains
enseignements traditionnels dans cette option, comme la compilation, les
particularités d'Unix, l'informatique théorique, sont réduits ou disparaissent.
Parmi les nouveaux cours qui apparaissent, certains relèvent évidemment des techniques
informatiques des réseaux, d'autres sont assurés en liaison avec les
enseignants de droit numérique et d'économie numérique de l'Ecole.
Puisque
la réalité dépasse toujours le récit qu'on en fait, le groupe d'optionnaires
accompagné d'un enseignant pourra aller visiter des startups de la Silicon
Valley en mars 2001 avec le soutien de l'Ecole.
Un cours de commerce
électronique en début de la 1ère année du cycle ingénieurs civils
L'innovation
la plus marquante dans l'enseignement de l'Ecole à la rentrée 2000 a
probablement été la réduction significative des cours de mathématiques et de
physique du tronc commun en 1ère année, et la transformation des cours de
métallurgie et de cristallographie en enseignements spécialisés, ce qui a
permis de dégager des créneaux pour de nouvelles disciplines innovantes. Dès la
rentrée, les élèves suivent l'un des 3 cours suivants :
marketing, propriété industrielle et intellectuelle, ou commerce électronique.
La durée, d'une douzaine d'heures, vise à un enseignement de sensibilisation
plus qu'à une discipline rigoureuse.
La
place de ces nouveaux enseignements dans le cursus est liée à l'Acte
d'Entreprendre : les élèves peuvent en effet y trouver des idées originales de
projets de création d'activités à mener au cours de leur scolarité.
Comme
le cours de E-commerce précède le cours de programmation des ordinateurs, il
n'est pas possible de donner aux élèves un projet informatique à réaliser à ce
stade. Il n'est pas non plus possible de leur donner des explications informatiques
pointues, notamment sur le fonctionnement du réseau Internet.
Pour
ce premier cours, le parti a été pris de considérer que la discipline du
E-commerce fait appel à la fois au
marketing (75 % du temps) et à l'informatique (25 % du temps). Un cours
magistral et des T.P. de réalisation de pages web permettent de dégrossir le
sujet.
Des
"jeunes anciens" de l'Ecole qui participent à des startups viennent
présenter brièvement leurs activités devant les élèves. Les questions des
élèves montrent à la fois leur intérêt pour la démarche de création de startup,
et leur absence de connaissance des problèmes concrets. Ils découvrent avec
stupéfaction ce qu'est un business plan, ce que fait un chef d'entreprise quand
la caisse est vide, le poids des charges sociales en France et l'attraction des
pays anglo-saxons, les relations d'un patron de startup avec des repreneurs
éventuels.
Enfin,
l'examen final demande à chaque élève de faire une présentation avec Powerpoint
du cas précis d'une entreprise qui s'introduit dans le E-commerce. Les cas sont
tirés de revues américaines comme Forbes ou Fortune, agrémentés de recherches
directes sur Internet. L'élève peut aussi, s'il le souhaite, faire une
présentation d'un projet personnel de création d'une E-activité.
Ce
genre d'enseignement est évidemment trop récent pour que l'on puisse conclure
définitivement sur son intérêt à ce stade de la scolarité. Il s'agit d'une
expérience pédagogique, dont l'Ecole décidera ultérieurement des modalités de
sa poursuite.